Bonjour Votre Majesté, et avant tout merci d'avoir sollicité l'AAP pour cette entrevue.
Merci à vous de Nous offrir l'opportunité d'une telle rencontre.
Le sujet qui occupe tous les esprits évidemment, c'est la guerre opposant la Couronne de France et les provinces loyalistes à l'alliance du Ponant. Êtes-vous inquiète de la tournure du conflit ?
Concernant la guerre, bien entendu, Nous sommes inquiète. Nous l'étions dès l'instant ou Nous avons compris que le Ponant allait Nous contraindre à poser Notre scel sur le parchemin de la déclaration de guerre. Inquiète de savoir Nos peuples dans la tourmente, inquiète de voir les Français se battre contre les Français, inquiète des souffrances que cette division engendre...
Inquiète, mais déterminée, plus que jamais, à servir Notre Royaume et à mettre fin aux coupables exactions d'un Ponant né pour détruire la bannière à la fleur de lys. La peur et la souffrance que Nous ressentons ne sont rien face à celles de Nos soldats, de Nos sujets... pour eux Nous avons le devoir sacré de ne point faillir, mais de tendre la main, de pouvoir pardonner le moment venu.
Sur un plan militaire, après plusieurs mois de relatif équilibre, la prise de Tours porte un coup décisif aux forces royalistes. Ne craignez-vous pas la défaite ?
On ne fait pas la guerre si l'on n'est pas préparé à perdre une bataille. Tours est tombée, mais Tours a résisté avec tant de vaillance, d'énergie et de courage que personne ne peut douter que Tours se redressera, plus forte et digne que jamais. Tours est tombée, en effet, mais cela ne remet pas en cause la légitimité de la guerre. Quoi qu'en dise la propagande ennemie, cette prise n'est jamais que la premiere et la seule victoire du Ponant en quelques trois mois de conflit.
Il est fort dommage que le Ponant ne s'en soit pas tenu à couler les navires de ses propres mercenaires, à poutrer ses propres renforts ou encore à disperser ses propres armées, brillantes manoeuvres nous ayant bien diverti au fil des semaines mais... Nous avons la bonne grasce de leur reconnaître qu'ils ont su prendre leur carte dans le bon sens et localiser Tours.
Pour le reste, sur le plan militaire le conflit continue, demain, le Ponant tremblera pour Poitiers, pour Angers, pour Arras. Et peut-être que certaines provinces commenceront alors à se demander pourquoi leur amie la Bretagne demeure la seule à ne pas craindre pour sa terre. Pourtant exposer ses sujets, pardon, ses alliés, en première ligne, en bonne chair à canon, pardon, en avant-garde, ne leur pose aucun souci.
Oh, puis j'allais oublier, "relatif équilibre" me semble une bien forte litote, si vous me permettez. Bilan des victoires royales : Normandie nettoyée des armées félonnes, Champagne résistant toujours aux assauts artésiens, Berry tombé et pacifié, Poitou occupé des semaines durant avec sa capitale assiégée, Saumur balayée par les armées royales... coté Ponant, eh bien uniquement Tours, mais avec quelles difficultés, et en si longtemps !
Doit-on en déduire que vous espérez toujours une victoire militaire ? Si elle survenait, quelles conséquences aurait-elle à court et moyen terme ?
Qu'appelez-vous une "victoire militaire" ? Voir tomber toutes les provinces du Ponant ? Peut être... mais il n'est pas besoin d'en arriver là . Lorsque les provinces félonnes auront ouvert les yeux, la Paix viendra naturellement, seul le temps que cela prendra demeurre un mystère. Avoir pris Tours leur fait pousser des ailes aujourd'hui, ils ne sentent plus uriner, comme on dit en taverne, mais s'ils oublient le mal qu'ils ont eu à y parvenir, tel n'est pas Notre cas. Il suffira de quelques batailles, de nouvelles défaites, pour qu'ils soient mieux disposés, même si les communiqués de la duchesse Killia, la traîtresse, laissent croire le contraire.
Vous escomptez donc plutôt que le Ponant sera le premier à se lasser. Pourtant, la situation n'est brillante nulle part, l'exemple de la Champagne dans le Domaine royal montre que la population des deux camps est de plus en plus réticente à poursuivre le conflit. Ne faut-il pas commencer à envisager de nouvelles négociations faute de vainqueur clair ?
La Champagne est une province divisée à la base, sur tous les sujets d'ailleurs. S'ils peuvent se disputer sur la meilleure couleur pour une paire de rideaux, les Champenois le feront. Par contre, quand il s'agit de se défendre contre l'ennemi, ils se serrent les coudes. Les querelles ne cessent pas mais passent au second plan.
Pour ce qui est de la négociation, Nous l'avons dit, Nous pouvons toujours discuter, mais la France ne retirera pas les conditions simples et légitimes qui ont été posées dès le premier jour et qui ne visent qu'à faire respecter la souveraineté naturelle du Royaume de France. Nous n'exigerons pas de têtes ou de réparations, dont Nous n'avons que faire, mais Nous ne céderons pas sur cela. Quand Nous entendons le Ponant ergoter sur ses liens militaires avec la Bretagne, Nous dire en substance "on veut que les Bretons puissent envahir la France pour venir attaquer les autres provinces qu'on n'aime pas", comprenez que Nous n'ayons pas envie de faire des concessions.
Le conflit ne pourra ainsi se terminer qu'avec la défaite d'un camp, ou la dissolution du volet militaire de l'alliance du Ponant ?
C'est cela oui. Ou bien sûr, dans le cas où les provinces du Royaume diraient "on ne veut plus la guerre, laissez le Ponant venir nous attaquer dès qu'il le souhaite". Ce qui n'est, heureusement, pas à l'ordre du jour.
Et si ces provinces disent "donnez-leur cette fichue indépendance et laisser-les se débrouiller avec la Bretagne, ils ne veulent plus de la France et ça tombe bien, la France n'en veut plus non plus" ?
Alors Nous Nous réveillerions, le souffle court, pour Nous apercevoir que Nous avons fait un cauchemar bien étrange et totalement farfelu. La France est une, elle est éternelle, elle transcende chacun des individus qui la composent et ne font que passer quand Elle demeure.
Puisqu'il est question de cauchemar, qu'adviendra-t-il si en vous réveillant vous trouvez les provinces loyalistes vaincues et le Domaine royal envahi ?
C'est impossible, cela voudrait dire la France entière, défaite, anéantie, impuissante. Autant imaginer que demain Nous Nous relevions sans un cheveu sur le crâne !
Vous pouvez toutefois concevoir qu'aucun des deux camps ne semble avoir envie de céder, et que le conflit risque de s'éterniser jusqu'à ne plus vous laisser grand chose à gouverner. Il est probable qu'un compromis doive être trouvé tôt ou tard, la Couronne y est-elle ouverte ?
Nous l'avons déjà dit, compromis, discussions, négociations, oui, mais pas sur un "Ponant Français", pas sur l'intégrité des frontières du Royaume, pas sur le droit de la France à refuser de voir des armées ou des navires étrangers venir semer le chaos sur son sol. Encore une fois, est-ce là trop demander ? Est-ce une exigence démesurée ? Est-ce un souhait impossible ? Non, ce n'est que le plus basique, naturel et légitime des droits.
Au sujet du droit, s'il appuie effectivement les revendications de la Couronne, pourquoi l'avoir contourné à l'occasion ? Le pillage et le rattachement de Châteauroux à la Touraine, ou encore la destitution de la vicomtesse Malycia effectuée contrairement au droit héraldique, sont des ombres difficilement compréhensibles au tableau royaliste.
La Couronne n'a jamais rattaché Châteauroux à la Touraine, et il n'a jamais été question de pillage. Nous avons suffisamment énoncé que Nous ne reconnaissions pas ce rattachement comme légitime ou destiné à perdurer. La destitution de cette Flamande est, en revanche, parfaitement légitime ainsi que l'énonce Notre édit du 17 septembre. Le Codex héraldique n'a pas encore été amendé, mais la charte d'un grand office est inféodée aux lois royales, ce n'est donc point un souci, ni un argument pour excuser l'acte d'agression de cette dame sur le duché de Normandie. Quand on est noble et que l'on décide, librement, de son plein gré, d'attaquer le Domaine royal, de bafouer la Couronne, on ne peut se plaindre, ensuite, d'en subir les conséquences largement méritées.
Vous continuez donc à demander aux autorités tourangelles de rendre son intégrité territoriale au Berry ? Quid du vote organisé dans la population locale, ayant donné vainqueur le rattachement à la Touraine ?
A l'heure actuelle, Nous Nous inquiétons d'avantage du sort de la population civile en Touraine, de la population berrichone de Châteauroux et des périls que pourraient leur faire encourir les oppresseurs du Ponant. Nous continuons à penser que chacun peut librement décider de devenir tourangeau et non berrichon, mais que dans ce cas-là , on déménage, on ne déplace pas sa ville. Nous avons déjà eu du mal à l'expliquer à la population de Montauban et à certains Toulousains, Notre avis n'aura pas changé là -dessus.
Un mot à rajouter au sujet du conflit, ou pouvons-nous aborder le reste de votre règne ?
Nous souhaiterions assurer à chacune des femmes, chacun des hommes qui ont pris les armes pour la France de Notre profonde et incommensurable estime, de Notre détermination à leur faire honneur et à les servir aussi longtemps que le Très-Haut Nous le permettra.
Avez-vous le temps de penser à autre chose qu'au conflit, et si oui, à quoi ?
Nous dormons peu, cela Nous laisse du temps pour penser. Aux réformes que Nous souhaitons voir mises en place, aux changements dont la France a besoin, aux travaux déjà lancés, à ceux qui viendront, aux difficultés que Nous devons surmonter, à Notre fille prisonnière en Artois, à l'enfant que Nous allons mettre au monde... bref, en effet, Nous pensons, et tâchons d'agir au moins autant.
Pourriez-vous détailler les réformes et travaux en question ? Quelle vision du Royaume avez-vous ?
Nous voulons aborder tout ce qui est considéré comme "acquis" ou "impossible à changer" pour le discuter et le repenser. Nous avons déjà demandé aux feudataires de se positionner sur l'avènement de marquisats au sein du Royaume, hors Domaine royal et Isle de France où cela est déjà possible. Il est apparu au final que les provinces ne souhaitaient pas voir cette mesure mise en place, le projet est donc abandonné. Nous voulons également aborder le cas de la Cour d'appel et celui d'éventuels ordres de chevalerie en province. En marge de ces points là , Nous oeuvrons, avec la très noble assemblée des Pairs de France, à la rédaction de la Charte royale, qui sera soumise bientôt, Nous l'espérons, aux Feudataires pour aval. Une profonde réforme des conditions d'accession à la très noble assemblée des Pairs de France devrait également voir le jour.
D'une manière générale, Nous voulons donner plus de voix aux feudataires, les associer à la conduite du Royaume, en faire les gardiens et les défenseurs de ses lois. Nous voulons gouverner en associant Nos ministres, les grands officiers et Nos Pairs de France, à la conduite de l'Etat. Nous espérons avoir le temps et l'énergie de réparer les plaies d'une France affaiblie, et insuffler une nouvelle énergie pour la conduire vers le progrès et la modernité qu'elle mérite.
En parlant des grands officiers, la nomination d'Ingeburge à la charge de Roy d'Armes a surpris ceux qui se souviennent qu'elle n'était pas votre plus fervent soutien au début de votre règne. Est-ce une façon d'oeuvrer pour la réconciliation ?
Nous n'avons jamais prétendu exiger de quiconque une dévotion aveugle ou une adoration païenne. Nous attendons de Nos officiers leur loyauté, mais surtout leur intégrité, Nous aimons que l'on Nous dise "non" ou "c'est stupide" ou "Vous vous trompez", quand c'est appuyé d'arguments raisonnés. Nous ne sommes jamais aussi bien aidée que lorsque Nous devons affirmer Nos positions et les débattre. Parfois, souvent peut-être, reconnaître comme valables les arguments qui nous sont opposés, et adapter Nos décisions en conséquence.
Vous n'êtes donc pas à court de projets malgré la guerre. Pour finir, pourquoi le choix d'Argael Devirieux comme Dauphin ?
Nous avons fait le choix de l'expérience, du mérite et de l'intégrité. En sus, Nous voulions quelqu'un qui connaissait le Royaume de France, le fonctionnement de ses institutions, ses forces et ses faiblesses. Pas quelqu'un d'inexpérimenté, fort de ses seuls préjugés et qui aurait dû "apprendre" quand Nous voulions quelqu'un d'actif sur le champ, pour Nous seconder et Nous assister. Nous avons mûri ce choix en notre for intérieur, et lorsque Nous fûmes convaincue de Notre raisonnement, Nous le lui avons fait connaître. Il a pris à son tour le temps de réfléchir avant d'accepter, de songer à ce que cela impliquait, de se demander s'il se sentait à la hauteur de cette charge, de s'interroger sur ses capacités... cette remise en question personnelle ne fit que Nous conforter et Nous rassurer. Nous avons trouvé là un vrai Dauphin pour la France, pas juste un nom creux sans rien derrière.
Un mot en conclusion ?
Un seul ? J'en vois trois qui s'imposent. Vive la France, je dirais même plus, vive la France qui se dresse et s'unit, vive la France à l'honneur retrouvé, et béni soit chacun de ses loyaux sujets. Vraiment, un seul mot, c'était trop bref !
Propos recueillis par Nicolas de Firenze, pour l'AAP