Chambéry (AAP) – Au cœur de la bataille de Chambéry, témoignage d'un paysan

C’est sur les murs de la ville assiégée par les Genevois de l’armée "Uneuuu souris Roseuuu, qui courait dans l'herbeuu" que nous avons rencontré un pauvre paysan participant à la défense civile de la capitale de Savoie. Un dénommé Evroult, laboureur édenté et analphabète, a accepté de nous parler de la vie sur le front sans jamais se séparer de son bâton “au cas où il faudrait rosser des coquins” nous dit-il dans un inimitable patois savoyard que nous traduirons tout au long de cet article.

Questionné sur les raisons de la guerre, il ne s’avance pas et déclare ignorer les rouages de la grande politique mais faire confiance à “ceux d’en haut”. Nous décidons alors d’en savoir plus sur ceux qui bénéficient de cet inconditionnel soutien mais au lieu de mérites, le rustre nous raconte l'improvisation des pouvoirs publics: “Le duc, la capitaine, le prévôt? Pas vu ici! Ils n’ont pas même placardé des affichettes. Pourtant, ça ferait plaisir même aux gueux qui ne savent pas lire comme moi. Enfin, on se dit qu’ils savent ce qu’ils font, n’est-ce pas? En tout cas, ils commencent à recruter des maréchaux. Ca va dans le bon sens.”

Au fil de la discussion, on comprend que cet homme du peuple a appris la venue d’une armée ennemie en se retrouvant nez à nez en taverne avec la troupe d’envahisseurs. “Je m’étais déjà dit qu’il y avait quelque chose qui clochait en voyant le marché vide. Impossible de trouver de la nourriture, mais alors là j’ai compris tout de suite. Le vers était déjà dans le fruit, et on ne nous avait toujours rien dit.” Depuis, avec quelques rares manants, il s’était posté sur les murailles pour “taper de l’hérétique” selon ses propres dires. On ignore par quelle prouesse les murs de la ville tiennent encore soutenus par une garnison dégarnie et une maigre populace plus habituée à tirer la charrue qu’à manier l’épée.

On découvre alors que la vie, au soucis près du marché vide, continue comme avant, les gueux travaillent dans les champs où les propriétaires terriens continuent de les employer. “Même les candidats à la mairie emploient les manants au lieu de les inciter à défendre la ville! Il n’y aura bientôt plus de mairie si ça continue…”. A écouter ce récit, on en vient à se demander si la ville n’a pas été purement et simplement abandonnée, ne devant son salut qu’au dévouement d’une poignée de civils et à beaucoup de chance.

Le bougre tient tout de même à nous montrer un bout de parchemin qu’il dit avoir reçu chez lui. Nous lui lisons, il s’agit d’un courrier de la maire Ebenra daté du 3 mai: elle incite les habitants à prendre les armes contre l’envahisseur. Le paysan salue l’initiative avec enthousiasme: “Les murs sont toujours debout grâce au Très-Hault. Il n’est pas trop tard pour se mobiliser. Tout le monde doit quitter les champs, n’y embaucher personne et aller aux murailles. C’est là le devoir de tous les Aristotéliciens de notre bon pays.”

Devant les imprécations religieuses répétées du manant, nous lui posons quelques questions sur la solidité des pieuses institutions auxquelles il se voue et nous nous étonnons là encore. “Ici, il n’y a pas d’évêque, je ne sais pas bien pourquoi. Quant au curé, j’ai demandé à être baptisé, mais je n’ai jamais eu de réponses. J’ai alors prié pour qu’il s’en aille, et depuis aujourd’hui nous avons un nouveau curé. C’est le ciel qui l’envoie!” Nous informons notre aimable lectorat qu’il s’agit du père Woland von Selenios élu aujourd’hui même, et que notre interlocuteur ne semblait pas connaître plus que cela.

Pour ne pas recevoir une volée de flèches genevoises malgré notre journalistique neutralité, nous décidons de laisser sur les murailles ce téméraire cultivateur.


Mesnard, pour l'AAP agence Meuse Saône Rhône

Le siège de la ville
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