Genève (AAP) - Saluons l’ode à l’inflation commise récemment par le bailli helvète qui fait un sort aux castrateurs de marché et aux préjugés sur le libre commerce. Regrettons toutefois que les va-t-en guerre y soient relégués avec les pilleurs de caisses au rang des pique-assiette et empêcheurs de prospérer en rond. Car la vérité est que la guerre est essentielle à une économie saine. Nous l’allons montrer tout à l’heure. Il est vrai qu’ils ont bien mauvaise presse, les va-t-en guerre, les enfants de Mars, les pourfendeurs de colombe, les « c’est à moi que tu parles ? », les belligènes. Dans ce monde où les frontières entre provinces sont plus immuables que celle qui nous sépare de l’au-delà , d’où l’on revient comme de la cueillette aux champignons, la guerre : c’est le mal.
A part dans quelques zones de conflit où la guerre revient régulièrement comme un bouton d’herpès, elle n’est partout ailleurs envisagée qu’à demi-mot. La plupart des chefs d’armée sont devenus champions du coup de menton et de la chasse au brigand. Au champ de bataille, on préfère souvent la déclaration bien sentie et à l’échange d’estocs la saillie publique sur vélin dûment scellé. La guerre est un recours inenvisageable, avatar des damnés d’où ne sort qu’un monde de cendres, de larmes et de tristesse. Aussi sont-ils unanimement voués aux Gémonies, les fauteurs de trouble, les trouble-paix, les pousses-au-feu, les belligènes. Haro sur le faucon ! Tel est le mot d’ordre des gens de biens.
Calembredaines, lantiponnages, ravauderies et fariboles que tout cela! Bien loin d’être des parasites aux loisirs morbides, les belligènes sont porteurs de richesse et de prospérité. De quoi vivraient les forgerons, s’ils n’étaient appelés par la guerre à sortir le fer du ventre de la terre pour le transformer en choses coupantes et contondantes vouées à finir dans le ventre des salauds d’en face ? Rapières, espadons, cimeterres, écus, boucliers rutilants, casques et heaumes ornementés, médaillons de cuivre qu’on embrasse secrètement avant que de plonger dans le moulon d’acier et de sang : sans la guerre, c’est tout un pan de l’économie qui s’effondre, jetant sur les chemins des hordes de chômeurs arrachés à un digne artisanat pour se livrer à des occupations plus ou moins oiseuses, plus ou moins vertueuses, plus ou moins honnêtes.
Au-delà de la stricte économie de guerre, voyons jusqu’où montent ces montagnes de maïs qui s’amassent sur nos marchés : probablement jusqu’à nous cacher le soleil. Heureusement, la carriole de l’intendant de nos armées qui part pour des mois de campagne en embarque une quantité considérable, et le soleil revient sur nos marchés, et le cultivateur peut de nouveau vendre à un prix raisonnable. Béni soit le soldat qui emporte avec lui suffisamment de tartines pour tenir jusqu’à la saison prochaine, et qui débarrasse nos étals et greniers ! Et que feraient nos médecins de toutes leurs potions et onguents, s’il n’y avait ses soldats qui revenaient plombés de chaude-pisse, de beri-beri, et d’autres maladies qui font l’honneur de nos guerriers ? Il est connu que le cultivateur de navet sédentaire reste désespérément sain au grand dam de nos toubibs condamnés à l’oisiveté, mère de tous les vices.
Dans tous les domaines de l’économie, la guerre contribue à endiguer la surproduction qui est la plaie des producteurs. Ceux-ci connaissent les juteux profits qu’il y a à tirer d’une économie de guerre où les marchés vidés tant par les défenseurs que par les assaillants qui tous deux espèrent affamer l’adversaire, permettent de vendre à des prix mirobolants, pour le plus grand plaisir des autochtones. Quelle jubilation lucrative d’avoir à nourrir tous ces blessés contraints et forcés de rester 45 jours et 45 nuits à consommer les spécialités locales, sans pouvoir produire !
De plus, la guerre encourage la noblesse. La noblesse d’âme, certes, et de cœur, forgées par les vertus des combats, le compagnonnage du sang, et les bordels de campagne, mais aussi la noblesse sonnante et trébuchante qui permet de prendre la tête d’une lance, et qui contribue à l’enrichissement des villes et comtés, aux budgets desquels elle occupe une place non négligeable.
Guerroyez, croissez et multipliez ! Nulle part ailleurs que dans une ville assiégée, on voit des tavernes bondées depuis le petit matin jusqu’au cœur de la nuit, remplies d’ennemis qui s’invectivent ou fraternisent, vomissent de concert, ou fricotent et tissent de fécondes idylles d’où sortira le peuple de demain. Il est connu que les tavernes remplies accélèrent la démographie, qui est la base d’une économie prospère.
Enfin, à quoi servirait de s’escagasser à maintenir un coûteux prestige, à grand renforts de fêtes aussi ennuyeuses qu’absurdes et onéreuses, si ce n’était pour le bien de nos armées, et pour obtenir les 5 étoiles au firmament militaire ? La guerre permet de rentabiliser le prestige de nos provinces, et de convertir les efforts considérables consentis pour les fêtes en sécurité, en rayonnement international, en édification de notre jeunesse, et en assainissement de notre économie, plutôt que de jeter les écus par milliers et en pure perte dans la cheminée comtale.
Parce qu’elle régule la surproduction, dynamise tous les secteurs de l’économie, favorise la noblesse, encourage la démographie et les échanges culturels, rentabilise le prestige, la guerre est bonne à la cassette. Sans parler des épidémies d’ennui qui déciment nos contrées, et contre lesquelles la guerre est une vaccine efficace. Pour tous ces bienfaits, nous ne risquons que 45 jours à méditer sur le sens de la vie. Ils sont beaux, ils sont bons, ils sentent bon le sable chaud, nos belligènes! Vos marchés sont saturés, votre jeunesse moribonde, vos élites se laissent mourir, votre population périclite, tournez-vous vers Mars, et ça repart !
Zarathoustra, pour l’AAP agence Meuse, Saône et Rhône