Southwark (KAP) — En cette nuit sans lune du vingt-huitième jour de juin, en l’an de grâce mil quatre cent soixante-treize, la mer gronde et gémit comme bête blessée, et les astres détournent le regard. Car voici qu’en la rade d’Alcácer, paisible naguère, s’élève un tumulte tel que le sommeil des hommes s’enfuit, et les murs tremblent comme feuilles au vent.

Les vents hurlent, les voiles claquent, les coques gémissent, et l’eau noire reçoit dans ses bras glacés trois enfants du large. Le premier, Monforte IV, vaisseau noble, mené par la main ferme de la capitaine Ellynha, dame forgée de sel et d’orgueil, chute sans pitié dans le giron des flots, bien qu’il se croie protégé des armes dans le berceau du port. Puis, son frère, Monforte VI, mené par le hardi Sircraft, suit le même destin, comme si les dieux eux-mêmes condamnaient leur lignage à l’oubli des abîmes.

Ce sont là fils de la maison Monforte, antique race portugaise, enracinée en terres d’Ourém, plus ancienne que les pierres des chapelles, et plus fière que l’éclat des couronnes. Leurs armoiries parlent d’amour et de guerre, de lions d’argent, de roses de sang, de châteaux dressés sur l’ombre, et leur cri de cœur est celui que les braves murmurent en mourant : « Plutôt la mort que le déshonneur ».

Mais la mer n’en a cure. Elle demande un tribut, et le prend, sans regard pour les noms ni pour les blasons.

Car un troisième navire vient s’ajouter au chant funèbre : le Mainvilliers II, qui n’est ni Monforte, ni frère de Lusitanie, mais marchand normand, sujet fidèle à la couronne de France. À son bord, Maitre_aupyl, homme de négoce et d’esprit, voit son rêve sombrer comme le reste, et ses marchandises devenir butin pour les abîmes. Et voici que s’éclaire, dans le miroitement des flammes sur l’eau, l’ombre d’une guerre que nul ne nomme, mais que tous reconnaissent car elle laisse des marques que seul le feu sait tracer, et le silence sait garder.

À lire : 17/05/1473 Loire boucherie

Guerre, oui, guerre véritable, non de clairons ni de proclamations, mais guerre chuchotée entre les planches des cales, dans les soupirs des mourants, les cris étouffés des mouettes. Une guerre de fidélités et de ruptures, de serments brisés et d’ambitions tenaces. La France y voit ses sujets tomber, l’Irlande y mesure sa force par les cendres et les épaves. Et la mer juge tout. Elle ne parle pas, mais elle se souvient.

Car ce ne sont point les chroniqueurs qui tissent la mémoire, mais les épaves qui se comptent et dorment au fond des flots, les noms effacés, les clans désolés, les mâts qui percent les flots comme des doigts tendus vers le ciel en vain. Aujourd’hui, ce sont ces trois navires. Demain, ce sera peut-être le vôtre. Et lorsqu’il ne restera plus que le murmure des marées, qui donc se souviendra ?


Guillaume Remuepoire pour l'AAP agence des Terres au Milieu

Pour réclamer un droit de réponse - la KAP internationale